Les difficultés de gestion en petite forêt privée

Brève histoire des forêts françaises et origine de la propriété forestière privée en France

Avant la Révolution de 1789, les forêts françaises étaient majoritairement détenues par le pouvoir royal, par des seigneurs et par des communautés ecclésiastiques. Jusqu’au début du 19ème, elles étaient un complément nécessaire à l’agriculture. Des droits d’usages autorisaient les habitants à disposer des ressources de certaines propriétés : bois de chauffage ou destiné à la fabrication d’outils et à la construction, matière pour la vannerie, piquets pour les enclos, ou encore fruits pour la consommation humaine et animale.

Dès le 13ème siècle, le pouvoir royal s’inquiétait de voir la forêt française surexploitée, inquiétude renforcée à partir du 17ème siècle, alors que la forêt commençait à revêtir une dimension stratégique pour l’approvisionnement de la construction navale en bois de qualité. Une politique de protection de la ressource forestière nationale s’est ainsi mise en place, structurée par des textes fondateurs tels que l’ordonnance de Brunoy en 1346, et celle de Colbert en 1669, qui ont progressivement défini les missions de l’ancienne Administration des Eaux et Forêts (ancêtre de l’Office National des Forêts) et ont introduit des règles de sylviculture orientées vers la production d’un bois de qualité, mieux calibrée sur la ressource disponible. Ces textes ont posé les fondements du Code Forestier, institué en 1827.

Cette mise en place du Code Forestier, couplée à la déprise agricole et à la substitution du bois de chauffage par le charbon, a participé à une augmentation de la surface forestière en France. Elle est ainsi passée de 8,5 millions d’hectares en 1850 à près de 16,8 millions d’hectares aujourd’hui.

Quant à la structure de la propriété forestière, elle a été fortement remaniée par la Révolution française. Les forêts royales, seigneuriales et ecclésiastiques furent saisies, et sont progressivement devenues propriété de l’État pour les forêts domaniales, ou propriété des communes, départements, régions et établissements publics pour les forêts des collectivités. D’autres forêts, dites privées, ont été acquises au fil du temps par des personnes physiques et morales.

Structure actuelle de la forêt privée et motivation des propriétaires

La propriété privée représente aujourd’hui 75% des forêts françaises, et totalise plus de 3,3 millions de propriétaires (1). Elle est inégalement répartie sur le territoire national. Dans des régions comme la Bretagne, les Pays de la Loire ou la Nouvelle-Aquitaine, plus de 90% des surfaces forestières sont privées. Dans le quart Nord-est de la France, les forêts publiques sont au contraire majoritaires.

La propriété privée est globalement très morcelée, résultat du partage des héritages autorisé par le Code Civil. Les petites forêts privées, de moins de 25 hectares, comptent pour environ 6 millions d’hectares en France (2), et la taille moyenne d’une propriété forestière avoisine les 3,8 hectares. Ce chiffre cache des écarts importants : 67% des propriétaires privés détiennent moins de 1 hectare, tandis que 11% d’entre eux seulement possèdent 76% de la surface forestière privée nationale.

Les motivations des propriétaires forestiers sont multiples, comme en témoigne une enquête réalisée par le Réseau d’Observation de la Forêt Privée en 2019 (3). A la question « Quel intérêt portez-vous à vos bois ? », l’attachement affectif ressortait en première position, suivi des notions d’espace de liberté et de préservation de la biodiversité (à égalité). La production de bois figurait en quatrième position.

Pourquoi est-ce important de mieux gérer la petite forêt privée et quels sont les freins rencontrés ?

Le stockage de carbone en forêt et au sein des produits bois, ainsi que les avantages apportés par l’usage du bois en remplacement de matériaux plus énergivores, font de la filière forêt-bois un levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique. Pour être en mesure de répondre à une demande croissante de bois, et afin de respecter la Stratégie Nationale Bas-Carbone qui fixe l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en France d’ici à 2050, une plus forte mobilisation de la ressource est nécessaire. Il s’agit de l’un des enjeux prioritaires du Programme National de la Forêt et du Bois (PNFB) 2016-2026 (4), document cadre de la politique forestière française.

Les forêts françaises sont pourtant confrontées à une double problématique de mobilisation et de renouvellement insuffisants de la ressource en bois. En 2019, une étude menée conjointement par l’IGN et le FCBA (5) anticipait un trou de production de bois à horizon 2035, lié notamment à un déficit d’investissement dans le renouvellement des peuplements résineux. Cette même étude soulignait que l’augmentation des volumes de bois disponibles, tant résineux que feuillus, se situait en forêt privée et plus spécifiquement dans les petites propriétés privées. Ces dernières pâtissent d’un déficit de gestion : sur les 6 millions d’hectares qu’elles représentent, moins 30% seraient gérés (2).

Le morcellement à l’origine de la petite propriété privée constitue un réel frein à la mobilisation et au renouvellement de la ressource en bois, car il génère une augmentation des coûts de gestion et d’exploitation que les prix de vente du bois ne parviennent pas toujours à compenser. Il rend également certains lots de bois de trop faible volume difficilement commercialisables. Les propriétaires privés de grandes surfaces ont très généralement recours aux services d’un gestionnaire forestier, chargé de superviser les coupes et les travaux réalisés en forêt. Les recettes issues de la vente des bois doivent permettre non seulement de rémunérer ce gestionnaire, mais aussi de financer les travaux nécessaires au bon renouvellement d’une forêt. Dans la petite propriété privée, cet équilibre financier a toujours été difficile à atteindre, et l’est d’autant plus aujourd’hui, dans un contexte de changement climatique qui entraîne des phénomènes croissants de dépérissements et de perte de productivité en forêt.

Outre la problématique du morcellement, l’objectif de mobiliser plus de bois et de gérer plus durablement la petite propriété privée se doit d’intégrer la diversité des intérêts portés par les propriétaires à leur forêt, ainsi que les attentes sociétales de plus en plus fortes en matière de protection de l’environnement.

Le regroupement des propriétaires, un levier possible

Des outils de regroupement des propriétaires sont encouragés depuis plusieurs années par le PNFB 2016-2026, avec l’appui technique des conseillers du Centre National de la Propriété Forestière et des Chambres d’Agriculture.  Il en existe diverses formes. Certains visent une restructuration du foncier forestier, comme :

  • les bourses foncières, qui facilitent les achats et vente de parcelles forestières entre propriétaires ;
  • les groupements forestiers, société de gestion commune créée par transfert du droit de propriété en échange de parts dans le groupement ;
  • le droit de préférence, qui facilite en cas de vente d’une propriété forestière de moins de 4 hectares son acquisition par un propriétaire forestier voisin.

D’autres cherchent à impulser une plus grande concertation dans les opérations de gestion, et une mise en commun des moyens financiers et techniques. Par exemple :

  • les associations syndicales de propriétaires, dans lesquelles sont mutualisés des travaux, des coupes et des projets de création d’infrastructures, sur un périmètre donné ;
  • les organismes de gestion et d’exploitation en commun, souvent organisés par des coopératives forestières, et qui réalisent des prestations de gestion et de récolte de bois pour le compte des propriétaires forestiers adhérents.

Le couplage à une solution de financement

Selon les travaux à mener pour le bon renouvellement d’une forêt, et dans un contexte de changement climatique, ces outils de regroupement des propriétaires ne parviennent pas toujours à mobiliser des moyens financiers suffisants.

Après une période creuse en matière de financement depuis la fin du Fonds Forestier National en 2000, plusieurs dispositifs d’aide destinés aux propriétaires forestiers privés ont vu le jour ces dernières années. Parmi eux, Néosylva (6) cible la petite forêt privée, majoritairement en abandon de gestion et pourtant particulièrement sujette aux aléas de l’investissement forestier (temps long, risques naturels, changement climatique…).

Néosylva accompagne les propriétaires forestiers privés dans le financement de travaux forestiers et et la gestion long terme de leur patrimoine, sans apport de trésorerie de leur part. Par son réseau de partenaires et son action d’ampleur nationale, Néosylva vise une économie d’échelle, y compris en petite forêt privée, et entend lui faire bénéficier des services de professionnels forestiers implantés localement.

Néosylva et le propriétaire se rémunèrent à terme sur la vente de bois, à égalité, et sur l’éventuelle vente de services environnementaux, tels que la séquestration de CO2. Les intérêts du propriétaire et de Néosylva sont étroitement alignés puisque chaque opération menée et financée doit contribuer à la valorisation du patrimoine forestier, et à sa bonne transmission aux générations futures.

Pour aller plus loin :

https://inventaire-forestier.ign.fr/IMG/pdf/fcba_ign_etude_bo_france_rapport_version_revisee.pdf

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