Faut-il interdire les coupes rases ?

Par Jean-Guénolé Cornet et Adéodat de Ternay

La question est depuis quelques temps portée dans le débat public. Ne serait-il pas temps d’interdire les coupes rases, alors qu’elles sont de moins en moins acceptées socialement et semblent antinomiques avec la préservation de la biodiversité et le stockage de carbone forestier ?

Au-delà d’un débat souvent passionné avec des prises de position tranchées, l’objectif de cet article est d’éclairer le lecteur en prenant un peu de hauteur sur le sujet.

Qu’est-ce qu’une coupe rase ?

En l’absence d’une définition précise, on appelle « coupe rase », ou coupe à blanc, l’opération consistant à exploiter la totalité des arbres existants sur une parcelle de forêt. Il est important de distinguer la coupe rase qui précède le renouvellement de la parcelle (on parle alors de coupe de renouvellement), du défrichement, qui lui, implique la destruction volontaire de l’état boisé et met fin à sa destination forestière.

Le défrichement est généralement soumis à autorisation préalable, et est strictement interdit dans certaines forêts comme les espaces boisés classés (EBC). Il est lié à un projet de réaménagement d’un terrain et peut impliquer une compensation fixée par le préfet. Ce n’est pas l’objet de cet article.

La coupe rase, dite de renouvellement, est également encadrée règlementairement, soit par un document de gestion durable attaché au massif sur lequel est conduite une coupe rase, lorsqu’un tel document existe[1], soit sur demande aux services de l’État en l’absence de document de gestion durable. Ce document de gestion est un outil important pour la gestion forestière. Il permet au propriétaire forestier de connaitre sa forêt, de fixer des objectifs de gestion raisonnée et de planifier l’ensemble des opérations à réaliser dans le temps. Ces documents sont agréés par l’Office National des Forêts (ONF) pour les forêts publiques et par le Centre Régional de la Propriété Forestière pour les forêts privées (CRPF).

Que dit la loi ?

En France comme à l’international, le cadre réglementaire de même que les principaux standards de certification forestière[2] ne considèrent pas, a priori, la coupe rase comme incompatible avec la gestion durable des forêts. Le principe est que, s’il y a coupe rase, celle-ci doit être motivée par des critères sylvicoles précis et le peuplement futur ne doit pas être de qualité inférieure au peuplement existant. Par ailleurs, bien qu’autorisées, les coupes rases sont généralement fortement limitées par les SRGS[3] rédigés par l’administration française, notamment en termes de surface, en prenant en compte l’existence d’enjeux paysagers et environnementaux.

Au-delà des a priori, quels sont les chiffres ?

Comme sur d’autres sujets, la recrudescence des débats sur les coupes rases reflète davantage l’intérêt croissant du public pour les questions environnementales qu’une réelle progression des coupes rases.

La surface de coupes de plus de 90% du couvert en France est restée globalement stable depuis les années 1980, autour de 60.000 ha/an. Elles représentent actuellement 0,35% de la surface forestière française, 10% de la surface totale passée en coupe et 36% du volume prélevé en forêt[4]. Assez logiquement, elles concernent principalement les peuplements monospécifiques.

Cette surface est fortement influencée par l’état sanitaire des forêts. A titre d’exemple, dans les 5 années suivant la tempête Klaus (2009), la surface annuelle passée en coupe de plus de 90% du couvert a atteint 90 000 ha/an. De même, à la suite de la crise des scolytes, ces coupes, en Epicéas, ont augmenté de 70%[5].

Et à l’étranger ?

Bien que les chiffres précis soient difficiles à obtenir, si l’on regarde à l’international et mis à part les forêts de conservation, on note une prédominance nette des modèles sylvicoles réguliers, impliquant une coupe rase, sur les modèles irréguliers. C’est le cas de la majorité des plantations « industrielles », notamment sous les tropiques, mais aussi des forêts boréales en Scandinavie et au Canada.

Ainsi, si le bois d’origine française n’est, que pour un tiers, issu de coupe rase, le bois international bien souvent importé en France, provient sans doute, pour une large majorité, de coupe rase.

Dans quelles situations une coupe rase peut-elle être justifiée ?

Le passage en coupe rase d’une parcelle de forêt peut se justifier dans trois situations qu’il est important de présenter :

Peuplement dépérissant

Le premier cas, probablement le plus consensuel, est celui du peuplement détruit ou en cours de dépérissement du fait de causes biotiques (maladie, ravageurs…) ou abiotiques (tempête, incendie, grêle, sécheresse…). La caractérisation de ce dépérissement revient au gestionnaire ou expert forestier, qui réagira en conséquence.

Ceux qui ont le souvenir d’un paysage de forêt dévastée ne peuvent que souscrire à la mise en coupe rase de ces parcelles ainsi qu’à la volonté du propriétaire de récolter les bois de sauvetage[6], lorsque cela est possible, et de relancer un nouveau cycle forestier. En plus de l’affliction profonde engendrée, le propriétaire subit une perte de son patrimoine familial qui sera d’autant plus élevée que sa réaction sera tardive. On l’a bien vu avec la crise des scolytes qui, depuis 2020, a dévasté les forêts d’Epicéas en Europe. Dès que les signes de dépérissement apparaissent, il est important d’intervenir afin de limiter la perte de valeur des bois récoltés mais aussi de contenir le développement du ravageur, en extrayant de la forêt les arbres malades qui serviront sinon de « garde-manger » aux insectes et favoriseront ainsi leur prolifération alentour. Dans les premiers stades de l’attaque, le néophyte ne verra pas les signes avant-coureurs du dépérissement et pourra s’étonner d’un passage en coupe rase.

Renouvellement d’un peuplement équienne

La coupe rase est aussi utilisée dans le cas de peuplements forestiers équiennes (peuplements dans lesquels tous les arbres ont le même âge), surtout lorsqu’il s’agit de peuplements monospécifiques. En fin de cycle, les arbres arrivent à maturité en même temps et requièrent donc d’être exploités en même temps. Il convient alors de différencier les peuplements forestiers suivant le régime de la futaie (constitués d’arbres de franc pied), des peuplements suivant le régime du taillis (peuplements constitués de rejets de souche). En effet, entre ces deux régimes présentés ultérieurement, les conséquences (notamment paysagères) d’une coupe rase ainsi que les manières de les éviter ne seront pas les mêmes.

Peuplement pauvre ou vulnérable au changement climatique

Une troisième situation peut motiver un passage en coupe rase. Il s’agit de peuplements jugés trop pauvres pour être améliorés ou particulièrement vulnérables au changement climatique (même s’ils ne présentent pas, a priori, de signes de dépérissement). Il est important d’avoir à l’esprit que tel est le cas d’un nombre croissant de peuplements (la mortalité des arbres en forêt a augmenté de 80% en dix ans[7]). A l’heure où la forêt semble être l’un de nos meilleurs atouts pour lutter contre le réchauffement climatique (stockage de carbone, production de matériaux et d’énergie bas carbone), il est donc indispensable d’adapter ces peuplements à l’évolution du climat, ce qui nécessite, parfois, le recours aux coupes rases. L’évaluation dans ces cas doit être conduite au cas par cas. Selon la hiérarchisation des objectifs entre production, conservation ou récréation, le choix du sylviculteur pourra être différent.

Prenons un exemple pour illustrer cette situation

Moins rapide que le scolyte mais tout aussi inéluctable, la maladie de l’encre se répand progressivement dans toute la France et fait des ravages dans nos châtaigneraies. Il s’agit d’un champignon qui attaque les racines et l’écorce à la base du tronc des arbres et provoque un suintement de liquide noirâtre, d’où son nom d’encre. La propagation de la maladie se fait par la progression du mycélium[8] qui s’étend dans le sol et peut survivre en l’absence de l’hôte. Il n’existe pas de remède à cette maladie, le changement d’essence à terme est inéluctable. Le forestier peut choisir de laisser la parcelle en libre évolution et attendre que la nature, progressivement, fasse son œuvre, ou la passer en coupe rase et replanter une nouvelle essence. Nous avons malheureusement, en France, plusieurs dizaines de milliers d’hectares dans cette situation.

Sur une propriété composée d’une vingtaine d’hectares de taillis de Châtaigniers gérée par Néosylva, nous avions trois stades d’avancement de la maladie selon les parcelles. Afin de définir les orientations de gestion, nous avons sollicité les parties prenantes. Le résultat est intéressant.

  • Certaines parcelles présentaient une mortalité très visible, avec une majorité de tiges mortes. L’avis unanime a été de couper le taillis et de replanter avec une nouvelle essence mieux adaptée
  • D’autres parcelles présentaient les premiers signes de dépérissement, peu visibles pour un regard non expérimenté mais qui indiquaient clairement que le peuplement était en sursis. Après un temps d’explication, l’avis a été de renouveler le taillis également
  • Enfin, les parcelles qui avaient subi les premières l’attaque de l’encre présentaient un paysage bien différent. Le taillis de Châtaigniers avait presque complètement disparu et avait été remplacé par un peuplement spontané à base de bouleau et de noisetier. La valeur économique de ce nouveau peuplement était faible avec peu de potentiel d’amélioration, mais il n’était pas dépérissant pour autant et contribuait à d’autres fonctions de la forêt. Après discussion, il a été décidé de le garder afin de conserver à l’échelle de la propriété des zones avec un objectif plutôt de conservation auprès d’autres, bien évidemment, de production.

Cet exemple illustre l’impossibilité de définir a priori les règles de gestion à appliquer. Il est en revanche important de prendre le temps du diagnostic, pour comprendre le contexte et les dynamiques naturelles en place, et de prendre le temps de l’échange pour décider, entre les options possibles, ce qu’il convient de faire ici et maintenant.

Quel impact des coupes rases sur l’environnement ?

Bien qu’elle ne considère pas la coupe rase comme idéale du point de vue environnemental, la littérature scientifique apporte toutefois quelques nuances.

Les études publiées à ce sujet[9]montrent que les conséquences environnementales des coupes rases ne sont pas les mêmes dans tous les domaines. Ainsi, si ces effets négatifs sont importants sur le microclimat forestier, le cycle de l’eau et l’érosion des sols, il est important de noter que ces conséquences négatives peuvent être réduites en adoptant de nouvelles pratiques plus respectueuses de l’environnement, notamment lors de l’exploitation (maintien de lisières ou de bouquets d’arbres âgés, utilisation de cloisonnements, ne pas dessoucher et peu travailler le sol…). Il est aussi important de s’adapter à chaque milieu, tous ne présentant pas la même sensibilité.

La littérature scientifique qui se développe sur le sujet ne relève cependant pas que des éléments négatifs. En effet, l’ouverture du milieu, par exemple, est favorable aux espèces pionnières et à la faune qui les accompagne (ongulés, insectes, reptiles, rongeurs…). Par ailleurs, les zones de transition entre deux milieux, appelées écotones (comme la lisière d’un bois), sont riches en biodiversité.

On observe donc que même si les coupes rases présentent des effets négatifs sur la biodiversité à l’échelle d’une parcelle forestière, elles assurent une biodiversité à l’échelle d’un paysage tout entier en permettant de conserver une mosaïque de milieux, si tant est que la surface de coupe rase reste minoritaire à l’échelle du massif !

Quelles alternatives à la coupe rase ?

Nous avons évoqué, avec l’exemple des Châtaigniers, la possibilité de « laisser faire la nature », lorsque l’objectif de production de bois d’œuvre n’est pas privilégié. L’objectif ici est plutôt d’essayer de comprendre comment produire du bois de qualité, sans passer par les coupes rases.

Cas de la futaie

Dans le cas d’une futaie historiquement gérée en sylviculture régulière (tous les arbres ont la même classe d’âge), la transformation progressive du peuplement visant à obtenir sur une même parcelle des arbres de classes d’âge différentes est possible, même si elle n’est pas aussi simple qu’on pourrait, a priori, le penser.

L’opération consiste à anticiper la coupe de certains arbres tout en prolongeant la durée de vie d’autres tiges au sein d’une même parcelle. On parle alors d’irrégularisation du peuplement. Cela permet d’éviter un passage en coupe rase, les arbres étant d’âges différents, ils seront récoltés à des périodes différentes.

Cependant, l’irrégularisation d’un peuplement forestier n’est possible que sur le temps long et requiert un suivi continu et de qualité, à la fois pour désigner les arbres à exploiter et pour conduire l’exploitation en limitant les dégâts sur les tiges d’avenir. Il est impératif également que les essences existantes, amenées à se régénérer naturellement (ce qui peut être plus ou moins simple selon les essences), soient adaptées aux conditions de la station et à l’évolution du climat. Une fois irrégularisé, un peuplement forestier garde une tendance naturelle à se « re-régulariser » sans intervention du sylviculteur. En effet, en l’absence d’exploitation régulière permettant l’ouverture de trouées, la canopée se referme, ce qui réduit l’arrivée de lumière au sol et donc la régénération naturelle. Ce phénomène, combiné avec une forte pression de gibier et l’abroutissement[9]  qu’il engendre (qui diminue les chances de survie de la régénération naturelle), a comme conséquence un vieillissement de la forêt avec des arbres qui, progressivement, reformeront une même classe d’âge.

Par ailleurs, si le peuplement présente une très forte régularité au départ, son irrégularisation ne sera pas possible sans un sacrifice d’exploitation.

Cas du taillis

Les taillis déjà évoqués sont historiquement gérés en coupe rase, avec un seul passage en coupe au terme de chaque cycle de production tous les 20 à 30 ans environ. Contrairement à la futaie, le taillis repousse de souche après chaque coupe en produisant plusieurs brins par souche. Ce modèle sylvicole permet d’optimiser la production en quantité, mais au détriment de la qualité. Il a été largement développé depuis le Moyen-Age puis au début de la révolution industrielle pour produire l’énergie nécessaire à l’industrie.

L’irrégularisation d’un taillis est quasiment impossible. Si le taillis est vigoureux, il peut être en revanche possible de le transformer progressivement en futaie régulière en ne gardant qu’un seul rejet par souche, on parle alors de futaie sur souche.

En termes de paysage, une coupe de taillis reste moins impactante qu’une coupe de futaie car les rejets de souche se développent rapidement et reforment en quelques années un paysage boisé.

Cas du taillis sous futaie

Le taillis sous futaie est un type de peuplement un peu particulier. Il s’agit en réalité d’un mélange de taillis et d’arbres de futaie, appelés « réserves ». A chaque coupe du taillis, les brins les mieux conformés sont conservés pour former des « baliveaux ». Ces baliveaux sont amenés à vieillir, indépendamment des coupes de taillis. Historiquement, ce régime de gestion permettait de produire en même temps du bois de chauffage (avec le taillis) et du bois d’œuvre (avec la réserve). Par définition, la réserve d’un taillis sous futaie est irrégulière car des baliveaux sont sélectionnés à chaque coupe de taillis (tous les 30 ans). Ils sont donc d’âges et de tailles différentes.

Compte tenu de sa structure originale, fruit d’une gestion particulière, ce type de peuplement est le plus simple à irrégulariser. Ainsi, principalement en forêt publique mais aussi en forêt privée, un grand nombre d’anciens taillis sous futaie ont été convertis ou sont en cours de conversion en futaie irrégulière.

Ces techniques sont-elles mises en œuvre ?

Exception faite du massif landais, qui a développé son propre modèle sylvicole adapté au contexte local et historique, on constate que le taux d’irrégularisation en forêt va globalement croissant avec la taille des massifs d’une part et le fait qu’ils soient gérés par l’ONF d’autre part.

Cela montre bien l’importance d’assurer un suivi sur le temps long, plus complexe à mettre en œuvre dans la petite propriété ou en l’absence d’un gestionnaire dédié.

 

Avant d’interdire les coupes rases, il nous semble important de dépassionner le débat, de comprendre dans quels cas elles sont pratiquées et de se demander pourquoi elles sont si largement répandues à l’international, y compris dans des pays reconnus pour leur engagement en matière d’environnement.

En effet, nous avons pu voir au fil de cet article que même si les coupes rases ne semblent pas être une solution idéale du point de vue environnemental et paysager, elles se justifient dans plusieurs cas du point de vue sylvicole. Par ailleurs, leur impact environnemental semble pouvoir être fortement limité, voire être bénéfique, tant que leur application reste raisonnée.

Enfin, notre expérience est qu’au-delà des grands enjeux de production de bois, de changement climatique ou de biodiversité, c’est aussi la question du paysage qui touche le grand public et qui doit être mieux prise en compte par les forestiers.

Ainsi, faire des forêts multifonctionnelles, c’est le mot d’ordre que nous nous sommes donnés à Néosylva.

 

——-

[1] Le document de gestion durable en France est obligatoire pour toute forêt privée de plus de 20 ha et pour les forêts publiques soumises au régime forestier

[2] Il s’agit en particulier des standards PEFC et FSC qui encadrent la pratique de la coupe rase mais sans l’interdire

[3] SRGS : Schéma Régional de Gestion Sylvicole

[4] Source : memento forestier IGN 2023

[5] Source : memento forestier IGN 2023

[6] Bois provenant d’arbres dévastés et devant être récoltés pour ne pas être perdus ou risquer d’affecter les arbres encore sur pied

[7] Source : memento Forestier IGN 2023

[8] Appareil végétatif des champignons

[9] Broutage des jeunes arbres par les animaux sauvages (cerfs, chevreuils…)

Pour aller plus loin sur ce sujet :

https://hal.science/hal-04244666v1/file/CRREF_synthese-de-lexpertise_WEB2.pdf

Article suivant
Le cap des 1000 hectares sous gestion franchit
Article précédent
Séminaire d’hiver de l’équipe Néosylva