Aux arbres citoyens?!

Par Jean-Guénolé Cornet – Président de Néosylva

Ce mardi soir, 1,6 millions de téléspectateurs ont suivi l’émission sur France 2 : Aux arbres citoyens, animée par Hugo Clément et Léa Salamé. Son objectif était plus que louable, agir pour la régénération des forêts et  leur biodiversité partout en France. Et pourtant, les réactions depuis le montrent, l’émission a mis en exergue la méconnaissance de la forêt de ceux qui pourtant entendent la préserver. Il est regrettable que ni propriétaires forestiers privés, qui représentent 75% de la forêt française, ni les professionnels de la filière bois n’aient été invités malgré leur demande.

Plus profondément, cette émission a mis en exergue un phénomène grandissant sur lequel nous devons attirer l’attention. Il s’agit du risque de clivage entre une opinion publique qui se préoccupe à juste titre du devenir de nos forêts, tout en ayant perdu le plus souvent la connaissance de la nature qu’avaient les générations passées, et les femmes et les hommes qui travaillent au quotidien pour mieux connaitre, gérer et mettre en valeur la forêt.

La forêt a toujours été un objet d’attention particulier, du fait de son étendue – elle couvre un tiers de notre territoire national comme des terres émergées dans le monde – de sa beauté sans pareil et des nombreux biens et services qu’elle apporte. Elle est directement ou indirectement liée à nombre de nos actes les plus quotidiens, le plancher sur lequel nous marchons, la qualité de l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, les promenades que nous aimons y faire ou les contes que nous lisons à nos enfants le soir. A ce titre les modes de gestion, l’usage des biens et services tirés de la forêt et l’étendue même de nos surfaces forestières ont continuellement évolué dans le temps selon les besoins de la société.

On oublie souvent que nos forêts ont été anthropisées depuis des siècles, que l’étendue de la forêt française il y a 250 ans était deux fois inférieure à sa surface actuelle, qu’au début de la révolution industrielle et jusque l’avènement du charbon fossile la forêt était principalement orientée vers la production de bois de feu, que plus tôt encore elle était une ressource stratégique pour la construction navale. On oublie que les Landes était autrefois un vaste marécage insalubre, que le chêne et le châtaignier ont été très largement favorisés au Moyen Age pour se nourrir en cas de disette, que les meilleurs vins que nous buvons ont vieilli dans des tonneaux faits avec des chênes façonnés par la main de l’homme pendant près de deux siècles.

15000-d-histoire-de-la-foret1 ©geoconfluences.ens-lyon.fr/

Parce que la génération des arbres dépasse celle des hommes nous avons le sentiment que la forêt est immuable. Bien au contraire, elle est un milieu vivant et dynamique. Ce que nous considérons comme des espaces naturels sont le fruit du travail de générations de forestiers, souvent passionnés, qui ont appris à force d’observer la nature à la mettre en valeur tout en respectant sa dynamique propre.

Voilà le point important. Une forêt est un espace naturel qui répond à des règles physiques, celles dont ne nous sommes pas les maîtres et que nous découvrons au contact du réel. Celui qui veut faire un potager doit apprendre à jardiner. Il y a des règles à respecter. S’il ne les respecte pas, il ne donnera aucun fruit. Il en va de même pour la forêt. Prétendre régénérer la forêt sans connaissance des principes naturels qui en sous-tendent le fonctionnement ni sans s’appuyer sur l’expérience de ceux qui œuvrent sur le terrain, est illusoire.

Il ne s’agit pas de dire que seul le sachant a droit au chapitre en matière de gestion forestière mais qu’il convient pour le moins de l’écouter. Une question comme celle des coupes rases ne doit pas être tranchée dans un salon parisien mais sur le terrain et en s’appuyant sur la science. Toute posture qui consiste à réduire notre vision de la forêt à un schéma binaire tel que “les résineux c’est mal, les feuillus c’est bien”, se trouve tôt ou tard en contradiction avec le réel. Ce qu’il convient de faire ici n’est pas nécessairement bon ailleurs.

Au moment où nos forêts sont tout à la fois un levier majeur et une victime face au changement climatique et l’érosion de la biodiversité, il nous semble que nous devons au contraire travailler ensemble afin de concilier les demandes de la société avec l’expérience et le savoir-faire des forestiers.

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